Étude de la description de Stahlstadt

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Présentation :

Les Cinq cents millions de la Bégum est un livre de Jules Verne paru en 1879. Verne c’est inspiré d’un livre de Paschal Grousset.

Résumé :

Deux hommes héritent d’une fortune de 500 millions de francs-or. Ils décident, chacun de leur côté, de construire une ville. L’un, le professeur Schultze, construit Stahlsadt, la cité de l’acier. L’autre, le professeur Sarrasin, construit France-Ville, une ville idéale. Mais bientôt les deux cités rentrent en guerre.

Cet article est une modeste étude de la présentation de Stahlstadt (la cité de l’acier) construite par le professeur Schultze.

Extrait des Cinq cents millions de la Bégum, Jules Verne, 1879 :

« Qu’on imagine un plateau de cinq à six lieues carrées, au sol sablonneux, parsemé́ de galets, aride et désolé comme le lit de quelque ancienne mer intérieure. Pour animer cette lande, lui donner la vie et le mouvement, la nature n’avait rien fait ; mais l’homme a déployé́ tout à coup une énergie et une vigueur sans égales. 

Sur la plaine nue et rocailleuse, en cinq ans, dix-huit villages d’ouvriers, aux petites maisons de bois uniformes et grises, ont surgi, apportés tout bâtis de Chicago, et renferment une nombreuse population de rudes travailleurs. 

C’est au centre de ces villages, au pied même des Coals-Butts, inépuisables montagnes de charbon de terre, que s’élève une masse sombre, colossale, étrange, une agglomération de bâtiments réguliers percés de fenêtres symétriques, couverts de toits rouges, surmontés d’une forêt de cheminées cylindriques, et qui vomissent par ces mille bouches des torrents continus de vapeurs fuligineuses. Le ciel en est voilé d’un rideau noir, sur lequel passent par instants de rapides éclairs rouges. Le vent apporte un grondement lointain, pareil à celui d’un tonnerre ou d’une grosse houle, mais plus régulier et plus grave. 

Cette masse est Stahlstadt, la Cité de l’Acier, la ville allemande, la propriété́ personnelle de Herr Schultze, l’ex-professeur de chimie d’Iéna, devenu, de par les millions de la Bégum, le plus grand travailleur du fer et, spécialement, le plus grand fondeur de canons des deux mondes. 

Il en fond, en vérité, de toutes formes et de tout calibre, à âme lisse et à raies, à culasse mobile et à culasse fixe, pour la Russie et pour la Turquie, pour la Roumanie et pour le Japon, pour l’Italie et pour la Chine, mais surtout pour l’Allemagne. 

Grâce à la puissance d’un capital énorme, un établissement monstre, une ville véritable, qui est en même temps une usine modèle, est sortie de terre comme à un coup de baguette. Trente mille travailleurs, pour la plupart allemands d’origine, sont venus se grouper autour d’elle et en former les faubourgs. En quelques mois, ses produits ont dû à leur écrasante supériorité une célébrité universelle. 

Le professeur Schultze extrait le minerai de fer et la houille de ses propres mines. Sur place, il les transforme en acier fondu. Sur place, il en fait des canons. 

Ce qu’aucun de ses concurrents ne peut faire, il arrive, lui, à le réaliser. En France, on obtient des lingots d’acier de quarante mille kilogrammes. En Angleterre, on a fabriqué un canon en fer forgé de cent tonnes. À Essen, M. Krupp est arrivé à fondre des blocs d’acier de cinq cent mille kilogrammes. Herr Schultze ne connaît pas de limites : demandez-lui un canon d’un poids quelconque et d’une puissance quelle qu’elle soit, il vous servira ce canon, brillant comme un sou neuf, dans les délais convenus. 

Mais, par exemple, il vous le fera payer ! Il semble que les deux cent cinquante millions de 1871 n’aient fait que le mettre en appétit. 

En industrie canonnière comme en toutes choses, on est bien fort lorsqu’on peut ce que les autres ne peuvent pas. Et il n’y a pas à dire, non seulement les canons de Herr Schultze atteignent des dimensions sans précédent, mais, s’ils sont susceptibles de se détériorer par l’usage, ils n’éclatent jamais. L’acier de Stahlstadt semble avoir des propriétés spéciales. Il court à cet égard des légendes d’alliages mystérieux, de secrets chimiques. Ce qu’il y a de sûr, c’est que personne n’en sait le fin mot. 

Ce qu’il y a de sûr aussi, c’est qu’à Stahlstadt, le secret est gardé avec un soin jaloux. 

Dans ce coin écarté de l’Amérique septentrionale, entouré de déserts, isolé du monde par un rempart de montagnes, situé à cinq cents milles des petites agglomérations humaines les plus voisines, on chercherait vainement aucun vestige de cette liberté́ qui a fondé la puissance de la république des États-Unis. 

En arrivant sous les murailles mêmes de Stahlstadt, n’essayez pas de franchir une des portes massives qui coupent de distance en distance la ligne des fossés et des fortifications. La consigne la plus impitoyable vous repousserait. Il faut descendre dans l’un des faubourgs. Vous n’entrerez dans la Cité de l’Acier que si vous avez la formule magique, le mot d’ordre, ou tout au moins une autorisation dûment timbrée, signée et paraphée. »

Etude

Dans Les Cinq Cents Millions de la Bégum, Jules Verne imagine deux héritiers se partageant un héritage fabuleux. L’un, le docteur Sarrasin, fonde France-Ville, une ville idéale, utopique. L’autre, le professeur Schultze, un Allemand et ancien chimiste, construit Stahlstadt, la Cité de l’Acier avec ses usines et ses fabriques d’armement. 

Dès les premières lignes, on a déjà une image de cette lande transformée par la main de l’homme. Jules Verne dit même « la nature n’avait rien fait ; mais l’homme a déployé tout à coup une énergie et une vigueur sans égales ». Ceci donne déjà une impression de grandeur et de puissance à cette ville, ce sentiment revient avec la description du professeur Schultze, allemand, maître de l’armement, caricaturé, rappelant le souvenir amer de la défaite lors de la guerre franco-allemande de 1870.

La description des villages de mineurs fait penser à ces cités ouvrières qui florissaient à l’époque de la révolution industrielle, Jules Verne décrit d’ailleurs les conditions de vie déplorables des ouvriers plus loin dans le roman.

La première description globale de Stahlstadt donne un sentiment sombre, les Coals-Butts projetant leurs masses sombres sur Stahlstadt, les couleurs choisies sont celles du minerai de fer (rouge principalement). On imagine ces nuages rouges d’oxyde de fer et ces bâtiments qui « vomissent par mille bouches des torrents continus de vapeurs fuligineuses ». Jules Verne réussit très bien cette première description qui renforce le sentiment de puissance à Stahlstadt, un sentiment qui va rester tout le long du roman.

La localisation de la « cité de l’acier » appuie ce sentiment :

– « dans ce coin écarté de l’Amérique septentrionale »
– « isolé du monde par un rempart de montagnes »
– « situé à cinq cents milles des petites agglomérations humaines ».

Cette localisation veut peut-être faire naitre l’impression que cette ville est coupée du monde comme si elle était au-dessus des autres et qu’elle n’avait pas besoin du reste de l’humanité. 

Les armes qui sont fabriquées à Stahlstadt sont à l’échelle de la ville : gigantesques et terrifiantes. Jules Verne nous dit que Herr Schultze les expédie vers tous les continents et pays : « pour la Russie et pour la Turquie, pour la Roumanie et pour le Japon, pour l’Italie et pour la Chine, mais surtout pour l’Allemagne ». La ville, grâce aux millions de la Bégum, est sortie de terre comme par « un coup de baguette » et sa célébrité s’est faite en quelques mois : Jules Verne montre que cette ville et Herr Schulze n’ont pas de limites. On parle de diverses réalisations faites par de multiples chercheurs mais « Herr Schultze ne connaît pas de limites : demandez-lui un canon d’un poids quelconque et d’une puissance quelle qu’elle soit, il vous servira ce canon, brillant comme un sou neuf, dans les délais convenus […] il fait ce qu’aucun de ces concurrents ne peut faire ». Ces expressions renforcent encore une fois le sentiment de supériorité exprimé dans cette description. Un autre détail renforce ce sentiment. Jules Verne fait appel à des « légendes » comme il les appelle, des rumeurs qui évoquent des « alliages mystérieux » et des « secrets chimiques ». Ces procédés d’écriture apportent à cette cité une dimension semi-légendaire, tout comme le confirme « la formule magique » attendue pour pénétrer dans la cité. 

Qui plus est, l’architecture même de la ville fait penser à une forteresse. Jules Verne renforce alors cette idée de secrets et de légendes : « En arrivant sous les murailles mêmes de Stahlstadt, n’essayez pas de franchir une des portes massives qui coupent de distance en distance la ligne des fossés et des fortifications ». La conception simple et régulière des édifices rappelle ce sentiment de forteresse cachée derrière ses hautes murailles : « une agglomération de bâtiments réguliers percés de fenêtres symétriques, couverts de toits rouges, surmontés d’une forêt de cheminées cylindriques ». Cette architecture symbolique de la révolution industrielle peut nous évoquer différentes villes du XIXème siècle.

Tous ces éléments veulent faire ressortir de la ville-usine un sentiment de puissance et une idée presque légendaire de la cité de l’acier.

Maintenant, revenons sur cette phrase : « on chercherait vainement aucun vestige de cette liberté qui a fondé la puissance de la république des États-Unis ». Implanté en territoire américain (pays très libre), Stahlstadt est gouvernée par un homme (Herr Schulze). On peut imaginer que cette phrase fait référence à une dictature. Les habitants de Stahlstadt seraient privés de liberté, ce qui donnerait du sens à la phrase. Cela expliquerait aussi le choix de l’utilisation de la 3ème personne du singulier pour certains verbes comme : «le professeur Schulze extrait », « il les transforme » qui feraient ainsi référence à Schulze et à sa suprématie. 

Mais, d’un point de vue extérieur à la cité, on peut facilement remettre en cause les intentions et la suprématie de Schulze. C’est justement ce que font les habitants de France-Ville qui n’utilisent pas la fortune qu’ils ont reçue pour construire une ville-usine mais pour construire une ville-modèle. Schulze met sa fortune non pas au service de l’humanité mais à celui de la guerre. Il veut le pouvoir et le monopole mondial de la fabrication d’armes. 

Tous ces éléments discrets dessinent un portrait moral de Schulze très négatif et expriment le danger de mettre entre les mains d’un seul homme les armes les plus dangereuses et destructrices qui soient. Pour conclure, rien qu’avec cette description de quelques pages, Jules Verne réussit à faire sortir de Stahlstadt un sentiment de grandeur et de puissance, appuyé par une impression quasi légendaire. Il dépeint le portrait de son créateur, un « Allemand type », Herr Schulze, comme un dictateur et remet en cause sa puissance. 

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